En 15 de carrière, j'ai pu observer 4 moments-clés de demande de prise en charge que je simplifierai comme suit : lors de la crise, avant la crise, après la crise et finalement sans crise. J'entends par " crise ", ce moment d'inconfort presque ultime où l'on se dit : " Là, je n'en peux plus. Je craque. Il faut que ça change ! " *
Majoritairement, c'est " lors de la crise " que les personnes viennent me rencontrer, bien souvent dans une attente de solution magique et rapide, voire miraculeuse : " S'il vous plait, aidez-moi, je n'en peux plus ! ", " Il faut que ça change vite, sinon...". Il peut alors être frustrant d'entendre un·e thérapeute vous dire : " Ca va prendre du temps ", " Je n'ai pas de boule de cristal ", ou même un simple : "Je vous écoute..." . Et pourtant, la personne arrivant à ce moment-là en consultation a bien souvent, inconsciemment, fait une bonne partie du chemin : elle est sortie du déni, a traversé une phase d'ambivalence (caractérisée par un " ça va, je gère " ou un "ca va passer, demain est un autre jour ") et a pris la décision de chercher de l'aide. Elle est allée encore plus loin : elle s'est renseignée, a pris son téléphone, elle a appelé, a demandé un rendez-vous et a parfois même déjà essuyé des refus, des orientations, des inscriptions sur liste d'attente.
Et puis, (et ce, quel que soit le stade du changement dans lequel la personne est inscrite *), arrive le premier moment du rendez-vous ! " Qui vais-je avoir en face de moi ? ", " Va-t-on m'écouter ? ", " Vais-je me sentir à l'aise ? ", " L'endroit sera-t-il accueillant ? ", " Par où vais-je commencer ? "... Une réelle rencontre va se jouer. La confiance va se construire dans ce que nous appelons l'alliance thérapeutique. Celle-ci sera i.n.d.i.s.p.e.n.s.a.b.l.e. ! C'est elle qui va permettre " la confidence ". C'est elle qui va permettre les " recadrages ". C'est elle qui va permettre les " confrontations ". C'est elle qui va permettre le " processus thérapeutique ". C'est elle, enfin, qui va permettre le "changement " !
Cette alliance, vous l'aurez deviné, va nécessiter du temps et de l'énergie. Et ce, de part et d'autre. A un moment où la personne souhaitait tellement "un coup de baguette magique ", elle va probablement être confrontée à sa première frustration (petite ou grande) de découvrir que le changement est un processus et non pas un événement (comme l'expliquent très bien Prochaska et Di Clemente * ).
Ce temps d'accueil, en tant que thérapeute, j'aime lui consacrer le temps " qu'il faut ". Cela peut être une partie de séance, une entière ou plusieurs. D'expérience, plusieurs (et à des moments parfois dissociés tout au long de la thérapie) garantiront une prise en charge de meilleure qualité. Car au cours de la thérapie, je vais vous écouter, vous permettre de vous raconter, mais aussi vous questionner, vous bousculer et ainsi vous motiver, vous permettre de vous guider vous-même vers vos propres choix. La bienveillance sera de mise ! Tout autant que la neutralité directe ou indirecte nécessaire à la découverte de qui vous êtes et de ce que vous souhaitez.
Parfois donc, arriver " en crise " se révèle aussi être un " mauvais " moment de prise en charge. Vous l'avez retenu, la thérapie, qu'elle soit individuelle, de couple ou familiale, va vous demander de l'énergie. Et au moment où vous " n'en pouvez plus ", elle va vous mobiliser, vous mettre en réflexion, vous mettre en action. Aurez-vous alors réellement cette énergie ? Et en cas contraire, aurez-vous suffisamment confiance en votre thérapeute, vous offrant cet instant de bienveillance pour déposer, pour construire le lien et pour vous ressourcer avant de pouvoir poursuivre sur la voie du changement entamée ? Aurez-vous vis-à-vis de vous-même, la bonté de vous accorder le temps de ressourcement nécessaire à votre processus thérapeutique ? Vous ferez-vous ce cadeau ? Aurez-vous cette indulgence, vis-à-vis de vous-même, de vos proches, de vos ambitions et... de votre thérapeute ?
D'autres personnes, parfois familiarisées avec la démarche thérapeutique viennent me rencontrer "avant la crise ". A l'écoute de leurs sensations, émotions, besoins, entourage,... iels profitent d'une certaine forme de lucidité pour venir en mode " préventif ". La phase d'alliance n'en sera pas moins incontournable ! Toutefois, l'état de non-urgence atténue alors cette sensation d'oppression que vous pourriez ressentir " en crise " et vous offre l'opportunité d'utiliser adéquatement l'énergie dont vous faites encore preuve. La durée de la phase de récupération est ainsi diminuée, voire rendue obsolète, et le processus peut être entamé dans une atmosphère plus sereine. Pour autant, cela ne garantit pas la non-survenue d'une " crise " par la suite mais cela favorise l'acquisition d'outils thérapeutiques pour l'accueillir, y faire face, la comprendre, la confronter, la surmonter, la traverser, la dépasser.
Certaines personnes viennent "après la crise ", se reconstruire, mettre du sens sur l'événement vécu et développer des moyens curatifs et préventifs : " Comment ne plus revivre cela ? ", " Pourquoi vis-je sans cesse les mêmes difficultés ? "... Il s'agit alors d'analyser ce qui s'est passé après avoir reconnu la détresse surmontée et les stigmates laissés. Se revivent bien souvent en séances, les moments forts ayant conduits à " la crise ", les émotions ressenties avant, durant et après celle-ci. Cela demande du courage que d'oser " retourner " décortiquer ce moment de vie, plus ou moins traumatique, pour en avoir une autre lecture mais, surtout, une meilleure compréhension de ses douleurs, de ses manques, de ses besoins, de sa participation, de sa responsabilité aussi afin de se développer, enfin, avec un plus grand sentiment de permission, de protection et de puissance.
Finalement, des personnes viennent me consulter " sans crise ", dans une préoccupation tout autre. "Je voudrais m'octroyer du temps ", "Je voudrais découvrir, prendre conscience et transmettre mon histoire, mon vécu ", "Je voudrais préserver mes enfants des transmissions et répétitions trans - ou intergénérationnelles ", " Je voudrais prendre soin de moi ", "J'aimerais questionner mon but dans la vie, ma place "... A l'instar de la philosophie de travail en médecine chinoise, le but est alors de soigner, de prendre soin donc, et de maintenir sa santé mentale et non pas de guérir. Telle une activité renforçant son hygiène de vie, tel un loisir, la consultation est à ce moment-là vécue comme une rencontre avec soi-même, un moment ressourçant d'investigation, de découverte, d'enrichissement, propice à une meilleure connaissance de soi, de son environnement et de son rapport à celui-ci. Il s'agit d'oser se découvrir, d'oser s'interroger, d'oser se tromper aussi. Il s'agit de s'offrir à soi ! Le/a thérapeute accompagne alors la personne dans cette introspection visant une meilleure connaissance de soi, en évolution constante. Questionner, permettre une autre lecture, simplifier, fluidifier les pensées et les actions. Le/a thérapeute est un tiers permettant à la personne de s'entendre, de se comprendre, de se définir, de s'orienter au fil du temps et des événements de vie. Prendre conscience de ses croyances (parfois limitantes), de la répétition de ses schémas scénariques, de la qualité de ses interactions, de sa participation aux jeux relationnels... Bref, viser son autonomie et sa responsabilité.
Quatre moments donc d'entame thérapeutique, de première consultation, de rencontre, propres à chaque histoire et à chaque personnalité. Quatre moments où votre psychothérapeute vous accueillera en toute bienveillance et en respectant non seulement votre état mais également les outils propres à chaque phase de motivation. S'entendre sur les objectifs, sur le rythme motivationnel, sur ses étapes (leur chronologie et leurs limites) fera partie de la rencontre et permettra, en outre, d'établir ce que l'on nomme " le contrat thérapeutique " avec son cadre et sa sécurité. Calmer les précipitations. Encourager les mises en action. Accompagner les découvertes. Le/a thérapeute sera alors tel·le un·e chef·fe d'orchestre dans votre processus thérapeutique confidentiel et personnel.
Et vous, quel sera votre moment ?
* En rapport avec le modèle trans-théorique du changement de James Prochaska et Carlo Di Clemente, enrichi du processus motivationnel en jeu dans les différents stades du changement développé par Georges De Leon, - que j'oserais synthétiser comme suit, en cinq à sept étapes visant le rétablissement et l'autonomie :
1° la pré-contemplation (ou inaction - déni)
2° la contemplation (ou prise de conscience - ambivalence, motivation extrinsèque et intrinsèque)
3° la préparation (au changement et au traitement)
4° l'action (prise en charge et expérimentation des changements mis en place)
5° le maintien (inscription et poursuite d'une nouvelle identité, d'un nouveau mode de vie)
et finalement,
6° la rechute
7° le recyclage.
- je situerais "la crise" généralement entre le stade de pré-contemplation et celui de la préparation, tout en retenant bien que ces modèles sont circulaires et dynamiques (et non pas linéaires).
Voici deux articles sur internet décrivant simplement et clairement ces modèles : l'entretien motivationnel et les étapes du changement de comportements ou d'habitudes.